Qu’est-ce que l’abus de position dominante ?

L’abus de position dominante est un concept-clé du droit de la concurrence. Il renvoie à un ensemble de pratiques ayant pour objet ou effet de fausser significativement la concurrence, à court ou à long terme. Bien qu’il soit facile d’en comprendre l’idée générale, sa définition précise et ses applications pratiques nécessitent une analyse approfondie. Dans cet article, nous examinerons les principes et critères caractérisant l’abus de position dominante, ainsi que ses effets sur le marché et les consommateurs et les mécanismes de régulation et les sanctions prévues en cas de caractérisation d'un abus de position dominante.

Maxime Gouzes

Abus de position dominante : quelle définition ?

Textes de référence : code de commerce et article 102 du TFUE

La position dominante n’est pas directement définie par la loi car elle n’est pas répréhensible. C’est bien le fait, pour une entreprise, d'exploiter abusivement sa position dominante pour restreindre la concurrence qui est interdit.

L'abus de position dominante, aussi dénommé exploitation abusive de position dominante, est prohibé en vertu de l'article l’article 420-2 du code de commerce : “Est prohibée, [...], l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. [...]” Ce texte interdit aussi l’abus de dépendance économique sur une autre entreprise, qui consiste à profiter abusivement de l'état de dépendance dans lequel se trouve un partenaire commercial.

À l’échelle de l’Union européenne, l’abus de position dominante est interdit par l'article 102 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

Critères de qualification d’un abus de position dominante

Trois conditions essentielles doivent être réunies pour caractériser un abus de position dominante :

  • Existence d'une position dominante : Une entreprise doit occuper une position dominante sur un marché pertinent. Cela signifie qu'elle a une puissance économique qui lui permet de se comporter de manière indépendante par rapport à ses concurrents, clients, ou consommateurs. La démonstration d'une position dominante suppose au préalable de bien identifier le marché sur lequel opère l'entreprise ou le groupe d'entreprise en position dominante.  
  • Exploitation abusive de cette position : L'entreprise doit utiliser sa position dominante de manière abusive. Cela peut inclure des pratiques telles que l'imposition de prix excessifs, des ventes liées, des discriminations tarifaires, ou des refus de vente.
  • Effet restrictif sur la concurrence : Le comportement abusif doit avoir pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence sur le marché. Il n'est pas nécessaire de prouver un effet concret, mais il doit être démontré que le comportement tend à restreindre la concurrence ou est susceptible de le faire.
Abus position dominanté critères

Entreprise(s) en position dominante

En droit français comme en droit européen, les entreprises qui peuvent se trouver en situation d’abus de position dominante sont les entreprises commerciales, économiques ou spéculatives qui ont une activité de production, de distribution ou de prestation de service. Il peut aussi s’agir d’un groupe d’entreprises répondant toutes à ce critère.

Pour ce qui est de caractériser la situation de position dominante, la question est plus délicate puisqu’il n’y a pas de définition précise dans les textes de loi française. C’est donc généralement vers la jurisprudence de l’Union européenne qu’il faut se tourner et notamment un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 février 1978.

Selon cette décision, la position dominante a ainsi été définie de la manière suivante : “La position dominante visée par l'article 86 [ndlr : du traité de Rome instituant la CEE] concerne une position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs. L'existence d'une position dominante résulte en général de la réunion de plusieurs facteurs, qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants.”

Ainsi, le fait de détenir la majorité des parts de marché ne suffit pas à caractériser une position dominante car il peut s’agir d’un marché où deux entreprises détiennent environ la moitié des parts. En revanche une situation de monopole est systématiquement une position dominante, c’en est même l’exemple le plus connu.

Un avantage concurrentiel tel qu’une avance technologique conséquente ou la possession de marques jouissant d’une très forte notoriété est potentiellement un facteur pouvant caractériser une position dominante.

Délimitation d’un marché pertinent  

C’est le critère contextuel, celui qui permet de savoir précisément de quoi on parle.  Le marché pertinent est principalement déterminé à partir de deux aspects :  

  • sa zone géographique (ex : la France métropolitaine) ;
  • les produits et/ou services concernés.  

Il convient de noter que le marché pertinent n’est pas forcément l’un des marchés de prédilection de l’entreprise en position dominante, il peut s’agir d’un marché sur lequel cette entreprise exerce suffisamment d’influence pour pouvoir imposer ses conditions. C’est par exemple le cas d’une entreprise de matières premières indispensables à la création de produits transformés.

Abus et effets anticoncurrentiels

Une fois la position dominante établie, il convient de démontrer l'existence d'une exploitation abusive de cette position ayant des effets anti-concurrentiels. En droit européen et en droit français il n’est pas nécessaire de prouver un effet réel et avéré sur la concurrence, il suffit de démontrer que la pratique est susceptible de produire un tel effet.

Types d’abus de position dominante couramment observés  

Des exemples d'abus de position dominante sont donnés aux articles 420-1 et 420-2 du code de commerce français et à l’article 102 du TFUE. Néanmoins, étant donné qu’il existe de très nombreuses possibilités d’abus de position dominante, une analyse des décisions de justice est indispensable pour apprécier les différents cas d'abus de position dominante.

De manière générale, on peut identifier deux grandes catégories d’abus de position dominante :  

  • l’abus d’exclusion ou d’éviction, qui consiste pour une entreprise ou un groupe à exclure ou évincer un ou plusieurs concurrents du marché ;
  • l’abus d’exploitation qui consiste pour une entreprise ou un groupe à imposer des conditions d’accès au marché (prix ou pratiques commerciales) sans justification valable.

Ces deux grandes catégories s’entrecoupent parfois mais cela permet une première répartition.

Ensuite, la jurisprudence a permis de mettre au point une typologie des abus de position dominante. On retrouve les cas suivants :

  • Prix excessifs ou prix prédateurs : l’entreprise fixe, selon ses besoins, des prix très élevés ou très bas pour ses produits ou services, afin de restreindre l'accès à un marché (prix excessif) ou, à l'inverse, d'évincer des concurrents (prix prédateurs) ;
  • Refus de vente ou d'accès : l’entreprise dominante sur un marché refuse de vendre ses produits ou d'accorder l'accès à des infrastructures essentielles à d'autres acteurs du marché, par exemple d'éventuels fournisseurs ce qui limite la concurrence et entrave l'entrée de nouveaux acteurs sur le marché ;
  • Prix ou traitements discriminatoires : l'entreprise en position dominantes propose des prix et conditions tarifaires préférentiels à certains clients seulement ou impose des conditions défavorables à des concurrents, les remises fidélités en sont une forme possible si elles sont abusives ;
  • Exclusivité imposée : l’entreprise en position dominante impose des contrats exclusifs ou refuse de fournir des produits/services à des clients qui font affaire avec des concurrents ;
  • Ventes liées : l’entreprise conditionne la vente d’un produit A à la vente d’un produit B, que ce soit de manière absolue ou via des remises de couplage ;
  • Abus d’avantage concurrentiel : l’entreprise abuse de ses droits de propriété intellectuelle en utilisant des brevets, des marques déposées ou toute forme d’avance technologique de manière anticoncurrentielle pour exclure ou limiter la concurrence sur le marché.
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Quel doit être l’impact de l’abus de position dominante ?

Sur le marché et la concurrence

Une partie de ces répercussions est directement listée par l’article 420-1 du code de commerce :  

  1. “Limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;
  1. Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;
  1. Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;
  1. Répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement.”

L’article 102 du TFUE identifie des conséquences similaires. D’une manière générale, il faut retenir que l’abus de position dominante tend à maîtriser voire à éradiquer la concurrence existante ou potentielle.

Un cas emblématique est celui de Microsoft dans les années 1990. La firme américaine avait alors été accusée d'abus de position dominante en intégrant son navigateur Internet Explorer avec son système d'exploitation Windows, ce qui a entravé la concurrence avec d'autres navigateurs. Cette affaire a abouti à des poursuites antitrust aux États-Unis et en Europe, et a finalement conduit à des accords de règlement visant à limiter les pratiques anticoncurrentielles de Microsoft.

Sur les consommateurs

L'absence ou la faiblesse de la concurrence est généralement corrélée à une hausse des prix pour les consommateurs. D’abord par le jeu de l’offre et de la demande mais aussi et surtout parce que l’entreprise dominante a une très grande latitude pour imposer ses prix, ce d’autant plus si son marché est captif. Un exemple assez flagrant est la vente de nourriture et boissons dans les wagons-bars des trains français.

Comment est régulé l’abus de position dominante ?

Les autorités de régulation en France et en droit européen

Au niveau administratif, c’est l’Autorité de la concurrence qui s’occupe en France d’enquêter et de sanctionner les auteurs d’un abus de position dominante. Elle peut agir de sa propre initiative ou sur saisie d’un acteur économique s’estimant lésé.

Ce même acteur économique peut également tenter de faire annuler un contrat (action en nullité) ou réclamer des dommages et intérêts (action en responsabilité civile) auprès de la juridiction civile. C’est principalement pour les affaires où l’abus de position dominante caractérise un fait de concurrence déloyale.

Il est également possible de saisir la juridiction pénale pour condamner les personnes physiques ayant pris part à un abus de position dominante.

Enfin, en droit européen, la Commission européenne peut être saisie :

  • soit d’office, par elle-même ;
  • soit par une plainte d'un État-membre ;
  • soit par une plainte par une personne (physique ou morale) de droit privé.

Elle a alors toute autorité pour enquêter et condamner :

  • Juridictions civiles : peuvent intervenir notamment en cas de concurrence déloyale et octroyer des dommages et intérêts aux victimes de tels agissements.  
  • Juridictions pénales : peuvent sanctionner les personnes physiques ayant pris personnellement part à une pratique anticoncurrentielle.
Autorités de régulation abus de position dominante

Les sanctions applicables pour l’abus de position dominante

Dans le cadre d’une affaire dont l’Autorité de la concurrence a la charge, la sanction peut s’élever pour l’entreprise jusqu’à 10% de son chiffre d’affaires HT sur l’un des exercices antérieurs à celui durant lequel l’abus a été commis. Peut s’ajouter à cela une amende équivalente à 5% du CA HT journalier par jour de retard après l’injonction à cesser la pratique prohibée.

Pour ce qui est des sanctions pénales, c’est l’article 420-6 du code de commerce qui s’applique : “Est puni d'un emprisonnement de quatre ans et d'une amende de 75000 euros le fait, pour toute personne physique de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en œuvre de pratiques visées aux articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-2-2.”

L’abus de position dominante n’est pas simple à résumer car il peut prendre de multiples formes. On peut néanmoins le caractériser par l'exploitation d'une position dominante en vue de restreindre la concurrente voire l'éliminer. C’est un fait grave car préjudiciable à tous les acteurs d’un marché y compris les consommateurs. L’abus de position dominante est punissable tant en droit interne qu’en droit européen, par les instances civiles et par les instances pénales.

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À retenir : Comment lutter contre les abus de position dominante ?

Pourquoi l'abus de position dominante est-il interdit ?

L'abus de position dominante est interdit parce qu'il fausse ou est susceptible de fausser le jeu de la concurrence. Il permet à une entreprise ou à un groupe d'entreprises de mettre en œuvre toutes les pratiques qu'elle veut au détriment des autres acteurs du marché y compris les consommateurs. L'absence de concurrence va à l'encontre de l'intérêt général, c'est pourquoi les pratiques anticoncurrentielles sont prohibées.

Quelle est la différence entre une entente et un abus de position dominante ?

Ce sont les deux grands types de pratiques anticoncurrentielles. En droit français, ils sont prohibés par les articles 420-1 et 420-2 du code de commerce. La principale différence réside dans le fait que les ententes sont multilatérales, elles sont des accords officieux entre plusieurs entreprises ; les abus de position dominante sont des actes unilatéraux menés sans concertations avec d'autres entreprises.

Qui sanctionne l'abus de position dominante ?

En droit européen c'est toujours la Commission européenne. En droit français, plusieurs instances peuvent intervenir notamment l'autorité de la concurrence, les juridictions civiles et commerciales et la juridiction pénale.

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